La newsletter vengera-t-elle le podcast ?
J-16. Les newsletters n'ont de cesse de me rappeler le podcast. Connaîtront-elles un destin similaire ?
Bonjour ! 👋
Merci et bienvenue aux nouvelles abonnées et aux nouveaux abonnés de cette méta-newsletter. Comme vous le savez peut-être, vous trouverez ici l’état de mes recherches sur le retour en grâce des newsletters dans le domaine journalistique. C’est le sujet auquel je consacre mon mémoire de fin d’études au Celsa Sorbonne-Université, mémoire que je soutiens dans 16 jours.
👉 Aujourd’hui, on se demande si la newsletter n’est pas aux années 2020 ce que le podcast fut aux années les plus récentes, années qui ont vu leur explosion avant une structuration du marché — toujours en cours sans doute, mais dont les lignes de force sont déjà bien claires.
Parce qu’évidemment, le rapprochement est tentant, et je m’y suis déjà risqué dans une précédente édition de cette infolettre. Là où le podcast redonnait vie à une technologie fondamentale de l’internet et pourtant totalement oubliée, le flux RSS, l’infolettre, toute sophistiquée puise-t-elle être, renvoie à une technologie antérieure à Internet : l’e-mail.
“Et si on lançait notre podcast ?” Je crois que tout le monde y a pensé ces dernières années, le podcast ayant bénéficié d’un formidable effet de mode.
Et effectivement ça semble simple : il faut pouvoir s’enregistrer, mettre le son sur SoundCloud, éventuellement payer un abonnement chez un diffuseur comme Ausha. C’est pas très cher et c’est facile. Et surtout, les annonceurs s’y intéressent, les diffuseurs comme Spotify et Deezer aussi, donc pour le dire grossièrement, il y a de l’argent à se faire.
Les newsletters connaissent, avec un temps de décalage, une dynamique similaire.
Faire une newsletter, c’est encore plus simple, puisqu’il suffit d’avoir une connexion Internet… et puis d’un outil du type Substack. Vous lisez cette newsletter grâce à Substack, un outil lancé en 2017 et qui a levé 17 millions de dollars depuis sa création. Manifestement, les investisseurs et entrepreneurs y voient un eldorado, et les journalistes s’emparent de cette aubaine. Ils ont bien raison : Substack envisage de soutenir les créateur•ices de newsletters avec des avances jusqu’à 20.000 dollars ! Alors, c’est comme le podcast et comme partout dans le journalisme : “Beaucoup d’appelés, et peu d’élus”. Mais encore une fois, il y a de l’argent en jeu. L’un des fondateurs de la plateforme, Hamish McKenzie, enfonce le clou : il est possible selon lui de gagner 100.000 dollars par an à condition de de faire s’inscrire “quelques milliers de lecteurs” qui payeront 5 dollars leur inscription chaque mois. C’est à lire dans le New York Times.
Tout ça, on en a déjà un peu parlé ici, dans La Méta-Newsletter. Substack veut être en pôle position sur le marché. D’ailleurs il propose à ses nouveaux•elles utilisateurs•ices d’aller chercher des billets publiés sur d’autres plateformes (Tumblr, Medium, ou même des concurrents directs : MailChimp et Revue).
Créer sa newsletter aujourd’hui est aussi simple que lancer son blog il y a quelques années. Substack encourage aussi à monétiser le travail produit grâce à la plateforme Stripe. Les auteur•ices de Substack peuvent y créer un compte et rentabiliser leur travail sans pour autant devoir créer une entreprise ou se déclarer auto-entrepreneur. La plateforme empoche 10% des revenus des auteur•ices.
Substack tente donc d’imposer son monopole en multipliant les appels du pied vis-à-vis des auteurs•ices de newsletters, et ce comportement peut être questionné par les journalistes.
En effet, la plateforme a même commencé à se placer en éditeur, rapporte le New York Times, toujours dans le même article. Substack propose de l’aide pour les auteurs et autrices de newsletters, un accès à la base de photos de Getty Images, un service juridique et même une assurance maladie, ce qui est loin d’être anodin pour les auteur•ices américain•es. Mais Substack pourrait-il alors s’arroger un droit de regard de la ligne éditorial de ses auteur•ices ? Je laisse la question ouverte, l’avenir seul pourra y répondre.
En parallèle, la concurrence se structure, avec notamment la plateforme indépendante Ghost, qui affirme ne pas prendre de commission sur les abonnements payés. Et on sait comme l’indépendance peut, sinon séduire un lectorat, au moins toucher les journalistes, surtout ceux qui ont perdu leur emploi dans un média privé.
Pour autant, j’aurais tendance à garder confiance en un outil comme Substack, qui se gargarise à raison de gagner de l’argent sans contenus sponsorisés et insiste sur le fait que les auteur•ices se rémunèrent uniquement grâce à ce qu’ils écrivent, et que le lectorat valorise en acceptant de payer. Clément Jeanneau parle, dans sa newsletter, La FrenchStack, de “passion economy”.
La passion economy, ce sont des créateurs et des créatrices de contenus qui veulent s’adresser à leurs abonné•es sans intermédiaire et passent donc par de nouvelles plateformes, qui ont connu un boom récemment, amplifié par le confinement. Clément Jeanneau explique que cette soudaine passion pour Substack est le produit d’un mouvement plus vaste qui profite à d’autres plateformes qui elles aussi rapprochent créateur•ices et abonné•es : Twich et OnlyFans pour citer les plus en vue récemment, mais aussi Patreon. Bref, pas de publicité ni de contenus sponsorisés sur Substack. Si Substack gagne de l’argent, c’est en prenant 10% de commissions sur les abonnements payants auxquels vous souscrivez.
Petit aparté : Il est intéressant de voir qu’en ce sens, le retour des newsletters n’est pas le fait des seuls journalistes. Jean Abbiateci se félicite d’ailleurs du mélange que produit ce revival : “Ce qui me plaît, c’est la diversité : on sort des médias de journalistes. On a plus de profils. J’aime bien ce mélange de chercheurs, d’entrepreneurs, de simples citoyens, de jeunes, de vieux…” Avec les blogs, “tout le monde peut s’improviser journaliste”, entendait-on il y a quelques années. Avec les newsletters, les créateur•ices de contenus ne cherchent pas à s’improviser journalistes, iels cohabitent avec les journalistes. C’est déjà différent.
De ce point de vue, les newsletters ont fait mieux que ce que le podcast a pu produire. Aujourd’hui divisé entre quatre ou cinq grands studios, l’écosystème du podcast attire surtout des journalistes ou ex-journalistes (jusqu’à réaliser des podcasts sur les journalistes).
Le podcast est aussi un espace pleinement investi par le sponsoring, et ce d’une manière même revendiquée, le site de Binge Audio laissant désormais parfaitement visible le fait que le studio joue sur les deux tableaux : contenus originaux portés par des journalistes (Victoire Tuaillon, Camille Regache, Julien Cernobori, Jennifer Padjemi…), ou du moins des personnes ayant une présence médiatique déjà marquée (Sophie-Marie Larrouy est une figure de MadMoizelle, Rokhaya Diallo est chroniqueuse à la télévision…) d’une part, et sponsoring (en répondant à des appels d’offres par exemple) d’autre part.
Personnellement, cette place prise par le sponsoring dans le podcast a tendance à me désoler (c’est bien pour ça que j’ai décidé, avec un ton vaguement provocateur, de parler de “vengeance” en titre de cette newsletter), mais bien sûr il n’y a pas de mal à ce qu’un média soit rentable, surtout quand il produit des contenus de qualité, et que le contenu en question n’est pas affecté par le marketing. En cela, les gros studios de podcasts qui structurent le marché ont réussi leur coup, tout en transparence. Les newsletters n’en sont pas encore là.
Si le modèle économique de Substack ne tient que sur des investisseurs qui y voient le média (démocratique ?) de demain, et sur le monétisable talent des créateur•ices de contenus, d’autres acteurs sont prêts à se lancer dans la course pour profiter de l’eldorado des infolettres.
Vous vous souvenez quand l’expression “Netflix de” est arrivée ? On l’a eu à toutes les sauces. Le Netflix du livre ici, le Netflix du jeu vidéo par là, ici encore vous avez le Netflix du sport, et connaissez vous le Netflix de la chasse, ou celui, moins extravagant, de la presse, que dis-je ? LES Netflix de la presse !
Bon, évidemment, ce qui devait arriver arriva, il nous fallait absolument un Netflix du podcast. La raison pour laquelle il nous faut un Netflix du podcast m’échappe encore à partir du moment où le podcast est un flux RSS, un simple lien qui ne demande pas d’abonnement payant, et que c’est en ce sens une absurdité de vouloir à tout prix un Netflix du podcast quand des solutions libres comme PodcastAddict existent. Restent que quelques investisseurs, qui n’avaient pas l’air d’y connaître grand-chose bien qu’ayant été par exemple à la tête de la radio nationale, y ont flairé un bon filon.
Je me moque, je me moque, en attendant, le Netflix de la newsletter arrive, s’il vous plaît ne riez pas. Le Netflix de la newsletter arrive, c’était un peu prévisible. D’ailleurs, ça y est, l’expression a déjà été lâchée dans la nature.
Tiens, qu’est-ce que c’est donc, que ça ? Eh bien ça, c’est Pigeon Inbox, une application smartphone qui se donnera pour la tâche de trier tous vos abonnements à des infolettres, tout cela avec un slogan qui personnellement me laisse songeur sur leur connaissance du média newsletter :
“Vos newsletters n’ont rien à faire avec vos mails.” Voilà un argument marketing des plus édifiants.
Quel crédit apporter à ces nouveaux outils qui fleurissent déjà sur un marché bien plus réduit (en tout cas pour l’instant ?) que celui du podcast et qui est pour le moins informe aujourd’hui ? Je ne suis vraiment pas persuadé que ces projets d’entrepreneurs résisteront au réel une fois lancés. Et c’est tant mieux. Car par essence la newsletter est un média ouvert, auquel chacun peut s’atteler grâce à des outils gratuits comme Substack et Revue.
En ce sens, j’aime à penser que la newsletter peut venger le podcast, ou en tout cas prendre une toute autre direction, car elle peut rester comme une citadelle imprenable, protégée par ses fondations démocratiques, et que les logiques évidentes de rentabilité n’ont pas poussé vers le marketing et le sponsoring. Si la newsletter est rentable, c’est qu’elle a su prouver sa qualité et inspirer la confiance à ses lecteurs et à ses lectrices, en apportant un éclairage nouveau.
Là où les médias traditionnels tentent de se redorer le blason avec toujours plus de neutralité et d’objectivité, la newsletter assume son ton parfois décalé, son rôle de compagnon, offre une pluralité de voix dépassant le milieu journalistique. Cela ne veut pas dire que la newsletter “sauvera” le journalisme. Mais peut-être simplement qu’elle peut lui offrir un nouvel horizon.
💬 L’impartageable newsletter ?
“I like the idea that you’re likely to do something if you’re recommended by a friend. The idea of me saying ‘Hey stranger, you should subscribe to my newsletter’ is way less compelling than a friend forwarding it to you and saying you would like it.”
[“J’aime l’idée selon laquelle il y a plus de chances que vous lisiez quelque chose si c’est un ami qui vous l’a recommandé. Si c’est moi qui vous dit ‘Salut, inconnu, tu devrais t’inscrire à mon infolettre’, c’est moins engageant que si un ami vous la transfère en pensant que ça vous plaira.”]
— Ann Friedman, citée par IJnet en 2016.
Avant d’en parler avec Jean Abbiateci la semaine dernière, j’étais persuadé que le principal obstacle des infolettres étaient la question du partage. Les newsletters ont rarement vocation à devenir virale, et elles ne se partagent pas toujours bien sur les réseaux sociaux (un lien MailChimp ne propose pas d’aperçu, par exemple, ce qui est très peu engageant).
J’ai donc eu la surprise d’apprendre que le fait de transférer un mail est particulièrement engageant. Jean Abbiateci m’a parlé de son expérience avec Le Point du jour, la newsletter quotidienne d’Heidi.news. “On voyait jusqu’à 50 ouvertures de mail sur le même envoi. Ce n’est pas une personne qui a cliqué 50 fois, c’est que la newsletter a été massivement transféré. On s’est dit que ces gens étaient nos ambassadeurs, alors on leur a fait un petit mail de remerciement.”
Pour Le Point du jour, ces ambassadeurs sont devenus la clef d’une stratégie de “conquête” des boîtes mails. L’infolettre s’est mise à proposer des éditions spéciales, avec des “invité•es” assurant la rédaction en chef de certains numéros, dans le but de les faire repartager la newsletter auprès de tout leur carnet d’adresse et toucher de nouveaux lecteurs, et donc de potentiels nouveaux abonnés. Une stratégie aussi astucieuse que payante dont je retiens une chose : la “conquête” du lectorat, quand il s’agit d’infolettre, se fait toujours pacifiquement. L’agressivité n’est pas vraiment une bonne stratégie :
🔍 Une newsletter à suivre
Aujourd’hui je vous propose de découvrir L’Arrière-Cour, une newsletter d’investigation locale indépendante, lancée par Raphaël Ruffier-Fossoul, longtemps journaliste pour Lyon Capitale qui s’est séparé de lui (une décision de l’actionnaire majoritaire, dit-il, suite à un documentaire trop critique vis-à-vis de Gérard Collomb). Les enquêtes sont riches et variées, et savamment illustrées. Pour les soutenir financièrement, ça se passe ici !
💡 Oh, et j’y pense ! Pour vous orienter dans les eaux troubles de l’océan des infolettres, rien de mieux que La French Stack, la première base de données des infolettres francophones.
C’est tout pour aujourd’hui, merci d’être chaque jour un peu plus nombreuses et nombreux que la veille à vous abonner et à lire cette infolettre ! On se retrouve très bientôt ✨