Les newsletters vont-elles nous vampiriser ?
J-23. Aujourd'hui, on réfléchit à la place du marketing dans le retour en grâce des infolettres.
Bonjour ! 👋
C’est parti pour un nouveau numéro de ma méta-newsletter, où je vous parle donc de newsletters et de l’avancée de mon mémoire sur le sujet, que je soutiens dans 23 jours au Celsa Sorbonne-Université. Bienvenue et merci aux nouveaux•elles abonné•es !
Aujourd’hui, on va parler de questions qui sont autant de serpents de mer lorsqu’il s’agit de nouveaux médias. On va donc parler modèle économiques indépendance, et marketing.
La newsletter est un média qui tranche dans un univers médiatique dont les règles sont désormais fixées par les algorithmes des réseaux sociaux et la loi de l’instantanéité. Et donc une respiration bienvenue face à la malbouffe informationnelle. La newsletter échappe donc au contrôle des GAFA, c’est à ce titre un média plus indépendant.
Et l’indépendance passe aussi par le ton, une notion très importante ici. La subjectivité, la proximité nouée avec le lecteur ou la lectrice… C’est aussi ce qui définit nombre de newsletters. Tout comme le podcast a remis au goût du jour le flux RSS, la newsletter rend ses lettres de noblesse aux courriels dans un océan de spams, et même à son lointain cousin le blog.
Eh oui, le directeur du numérique de l’Ina s’en amusait mais il a tout à fait raison de pointer ces ressemblances entre les newsletters et les blogs. D’ailleurs, sur Substack, vous pouvez afficher tous les numéros de cette newsletters les uns sur les autres comme s’il s’agissait d’un blog.
“There’s something wonderful about writing just for readers. Because your people are there, you have to be accountable, but it’s a very pure relationship. It reminds me of the wonderful old days of the blogosphere.”
— Le journaliste Andrew Sullivan, qui a lancé sa newsletter sur Substack cet été après avoir longtemps été à la rédaction du New York Magazine, cité par le New York Times
La newsletter va à rebours de l’infobésité, d’accord, mais s’éloigne-t-elle pour autant du modèle algorithmique et personnalisé des réseaux sociaux ?
Si la newsletter échappe au contrôle des algorithmes (encore qu’elle se retrouve souvent dans l’onglet “Promotions” de Gmail, au milieu des promos pour des fringues et des appels du pied de AirBnB à qui il tarde que vous repartiez en voyage), elle échappe aussi au contrôle de ce petit outil que nous utilisons massivement : les bloqueurs de publicités. Et ça, c’est une très bonne nouvelle pour qui veut monétiser son infolettre.
De plus, les créateurs de newsletters peuvent, comme les réseaux sociaux, pister largement leur lectorat. Moi-même je peux savoir si et quand vous avez ouvert cette newsletter, et encore, je ne suis pas un créateur confirmé. En revanche, lui…
Lectrices et lecteurs de “Bulletin”, son créateur Jean Abbiateci sait tout de vous, et peut adapter son offre à vos comportements. Par exemple, commencer une newsletter par un “Wesh !” un peu trop amical n’a pas trop plu… En résumé, me confier ainsi un accès à votre boîte mail n’est pas un acte anodin, bien qu’il vous aura pris moins de dix secondes.
C’est donc là que se situe l’un des paradoxes des newsletters, et pas des moindres…
L’infolettre remonte à avant l’existence même d’internet, elle naît en mai 1978, quand Gary Thuerk envoie un mail à 400 destinataires par ARPAnet (les ancien•nes sauront précisément de quoi je parle). Il y a donc une origine commerciale de la newsletter qu’il ne faut pas oublier.
Aujourd’hui, elle revient grâce aux journalistes qui en changent la nature et proposent parfois des contenus “premium”, pour lesquels certain•es sont prêt•es à payer. Mais surtout, ce sont des machines de guerre qui connaissent très bien leurs audiences et les comportements de leur lectorat, des données qui sont à la base du modèle économique des réseaux sociaux. Car comme Facebook, les newsletters ont intérêt à garder le plus possible l’attention de leur lectorat. C’est le point de départ d’une possible rentabilité.
Alors derrière ce retour en grâce de l’infolettre, le marketing n’avancerait-t-il pas masqué ? En effet, les marques n’ont-elles pas intérêt à se servir des changements de comportements (encore balbutiants certes) des consommateurs de newsletters ? Les newsletters vont-elles à leur tour tomber dans les dérives de l’économie de l’attention ? Les journalistes pourraient-ils servir les intérêts économiques d’entreprises privées non-journalistiques ?
À moins qu’ils ne cherchent eux-mêmes à devenir des marques ?
Quand j’ai fait part de ces différents questionnements à Lucie Ronfaut, autrice de la newsletter #Règle30, ça l’a plutôt déprimée… Dans son infolettre, la journaliste mêle habilement nouvelles technologies, féminisme & inclusivité, et surtout questionnements personnels. C’est donc aussi pour elle, pour son nom et pour sa patte, que l’on s’abonne à son infolettre. Et ça marche ! Le résultat, c’est une newsletter qui atteint un taux d’ouverture de plus de 50% !
Mais ce qui m’a surpris (et que vous trouverez peut-être totalement logique, votre avis m’intéresse), c’est qu’aucune marque ne soit venue démarcher Lucie Ronfaut. La newsletter est pourtant hébergée par Numerama, qui se plie régulièrement au sponsoring pour pouvoir financer d’autres contenus, et notamment des enquêtes fouillées d’une très grande qualité. Mais aucun sponsoring dans #Règle30, Lucie Ronfaut reste la seule maîtresse de son navire… Aucune marque n’y a vu d’intérêt. Mais jusqu’à quand ? “Je ne peux pas prédire ce qu’il en sera de #Règle30 dans 6 mois, 1 an…”, me répond la concernée, tout simplement.
Mon hypothèse reste que le marketing ne laissera pas sa créature si facilement lui échapper : reste à voir comment le journalisme y résistera. La newsletter comme nouveau terrain de guerre entre journalisme et marketing, ce sera le sujet de prochains numéros de la méta-newsletter !
💬 Le blues des autrices et auteurs de newsletters
[🇫🇷 Une chose vraiment étrange avec les newsletters : vous voulez que les gens les transfèrent à leur amis, mais ceux-ci n’ont pas de moyen direct de s’inscrire directement après. Alors vous finissez par écrire “Si on vous a transféré cet e-mail…” même a vos abonnés. Quelqu’un a trouvé une solution ?]
C’est un peu le problème (ou le charme ?) de la newsletter : à l’heure de la sur-personnalisation des contenus qui nous sont proposés, l’e-mail est un outil complètement archaïque. Et certains s’en émeuvent, puisqu’ils doivent désormais ajouter systématiquement la mention “Si on vous a transféré cet e-mail, inscrivez-vous ici”, en bas de leurs infolettres, une mention complètement inutile pour les destinataires directs.
Pire : selon le journaliste suisse Samuel Hufschmid, si quelqu’un à qui la newsletter a été transféré par un abonné clique sur “Se désinscrire”, c’est justement l’abonné lui-même qui est désinscrit. Bravo si vous avez compris, n’hésitez pas à relire la phrase plusieurs fois à tête reposée. En attendant, les créateur•ices de newsletters, eux, marchent sur la tête.
🔍 Une newsletter à suivre
West Side Stories, c’est une newsletter gratuite sur les États-Unis. Tous les 15 jours, plein d’infos en provenance des USA, traitées avec légèreté et rigueur. Dans la prochaine édition, qui arrivera dimanche, vous aurez le droit à une édition très spéciale, puisqu’il s’agira du dernier numéro avant la très attendue Nuit américaine…
Pour ce qui est du dernier numéro, Clémentine Pougnet, Juliette Delmas et Daria Golub s’y sont attaqué aux late night shows, une particularité du système télévisuel américain. Comme souvent, le contenu de la newsletter est gratuit, mais vous pouvez leur laisser un pourboire sur la plateforme Tipee !
C’est tout pour aujourd’hui, à très bientôt ! Pensez à me suivre sur Twitter : sur mon compte perso, ou sur mon compte de mémoire :).